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Rupture brutale des relations commerciales : conditions pour agir

Me Matthieu Chauveau
Écrit par Me Matthieu Chauveau. Avocat, spécialisé en droit des affaires
Relu par Clémence Bonnet.

Vous entretenez une relation commerciale depuis plusieurs années avec un client ou un partenaire commercial ? Pourtant, ce dernier vous informe de sa volonté de mettre un terme au contrat qui vous lie, sans autre précision. Il se peut même que vous ayez constaté par vous-même un désengagement progressif de sa part (baisse significative des commandes, modification des conditions tarifaires, etc). 

Un tel comportement peut être sanctionné par la loi sur le fondement de la rupture brutale des relations commerciales établies

Cet article vous présente en détail les conditions à satisfaire pour agir sur le terrain de la rupture brutale des relations commerciales établies.

 

 

Première condition : l’existence d’une relation commerciale établie

 

Si toute personne est libre de mettre fin à une relation d’affaires, encore faut-il le faire de façon loyale. Lorsque votre partenaire commercial rompt de façon brutale votre relation, c’est-à-dire sans préavis écrit ou avec un préavis d’une durée insuffisante au regard des caractéristiques de la relation, vous pouvez obtenir réparation en justice.

Les conditions de la responsabilité pour rupture brutale des relations commerciales établies sont très strictes. Il est nécessaire de prouver que votre relation commerciale était établie et que la rupture était brutale, le tout au regard des critères - souvent évolutifs - que fixe la jurisprudence.  

 

La nature commerciale de la relation 

 

Le caractère commercial de la relation ne pose quasiment jamais problème dans les faits. 

À l’origine, le fondement de la rupture brutale des relations commerciales établies était utilisé dans le domaine de la grande distribution, notamment pour sanctionner les distributeurs qui déréférencaient abusivement leurs fournisseurs. 

Aujourd’hui, le champ d’application est extrêmement large. Tout type de relation d’affaires est concerné : vente de marchandises, fourniture de prestations de services, relation extracontractuelle, précontractuelle, contrat à durée indéterminée, contrat à durée déterminée, contrat écrit, contrat verbal, etc. 

Vous l’aurez compris, la vraie difficulté réside dans la preuve du caractère établi de votre relation commerciale. 

 

Le caractère établi de la relation commerciale

 

C’est généralement la première question que je pose à mes clients : la relation entretenue avec votre partenaire d’affaires était-elle établie ? 

Mais pour y répondre, encore faut-il savoir ce que recouvre la notion de relation commerciale établie.

Dans le silence de la loi, la jurisprudence définit une relation commerciale établie comme une relation présentant une certaine stabilité, régularité et intensité, et exclusive de toute précarité

Tout d’abord, vous devez prouver que la relation d’affaires avec votre client était stable et régulière. 

J’ai pu remarquer que les juges s’attachaient très souvent à des éléments factuels pour qualifier une relation commerciale d’établie. Par exemple, vous devez prouver l’existence d’un contrat ou d’une pratique passée, la durée et l’ancienneté de la relation, le caractère significatif du volume d’affaires généré, la régularité du chiffre d’affaires réalisé, etc. 

En clair, il faut réussir à prouver que rien ne pouvait raisonnablement vous laisser penser que la relation d’affaires n’allait pas se poursuivre dans l’avenir. Qu’au contraire, tous les éléments étaient réunis pour que vous puissiez légitimement penser que celle-ci allait perdurer

Puis, je suggère toujours à mes clients de vérifier l’absence d’éléments susceptibles de précariser la relation commerciale. En effet, comme indiqué précédemment, la relation n’est pas considérée comme établie si elle apparaît comme incertaine, instable, fragile.

Ce sera par exemple le cas si vous avez l’habitude de recourir, pour chaque nouveau projet, à une procédure d’appels d’offres. En effet, cette procédure a vocation à remettre votre partenaire en concurrence, ce qui fait que la poursuite de votre relation d’affaires n’est plus certaine et que celle-ci peut-être qualifiée de précaire.

Dans cette situation précise, vous aurez donc du mal à prouver que votre relation commerciale était établie.

 

Seconde condition : le caractère brutal de la rupture

 

Avant toute chose, il faut bien évidemment que votre partenaire commercial ait mis un terme à votre collaboration. 

 

Une rupture

 

Cette rupture peut être totale ; on parle de cessation pure et simple de la relation commerciale. C’est le cas par exemple lorsque votre client a résilié le contrat ou ne l’a pas renouvelé. 

Mais la plupart du temps, la rupture est plus subtile. En effet, votre partenaire peut rompre de façon partielle votre relation commerciale, c’est-à-dire progressivement (sur une année par exemple) et sans le matérialiser expressément. 

C’est le cas par exemple si vous constatez une modification des conditions tarifaires du contrat, une baisse significative de vos commandes, etc. En clair, vous remarquez un désengagement progressif mais significatif de sa part.

Cela dit, il ne suffit pas que votre partenaire ait mis un terme à votre relation commerciale. Il faut encore que cela ait été fait de façon brutale.

 

Le caractère brutal de la rupture

 

La rupture est considérée comme brutale si elle imprévisible, soudaine et violente. Concrètement, elle doit résulter soit d’une absence de préavis écrit, soit d’une insuffisance de la durée du préavis. 

En effet, il se peut que votre partenaire commercial vous informe de sa volonté de mettre un terme à votre collaboration tout en vous précisant que vous disposez d’un certain délai avant que cela soit effectif. 

Mais s’il ne vous adresse pas une notification en ce sens par écrit, il y a de fortes chances pour que la rupture soit considérée comme brutale.

Pour éviter toute difficulté, pensez à vérifier que vous n’avez reçu aucun email ou courrier de la part de votre cocontractant vous informant d’une réorganisation de son activité, de la mise en place d’une procédure d’appel d’offres, d’une éventuelle baisse de commandes à venir, etc. Il serait en effet dommage que votre adversaire ressorte cet email ou ce courrier devant le juge ! 

Aussi, il se peut également que votre partenaire commercial vous ait accordé un préavis mais que celui-ci soit d’une durée insuffisante. Autrement dit, le délai qu’il vous accorde vous paraît trop court au vu des caractéristiques de votre relation commerciale. Par exemple, il vous octroie un préavis de 3 mois alors que votre partenariat a duré 10 ans et que la moitié de votre chiffre d’affaires annuel provenait de ce partenariat. 

La jurisprudence considère en effet que le préavis doit être raisonnable. Il faut que vous puissiez anticiper la fin de la relation et vous réorganiser. Pour apprécier le caractère suffisant du préavis, les juges tiennent compte de plusieurs éléments factuels comme :

  • l’ancienneté de la relation commerciale;
  • le volume d’affaires réalisé ;
  • l’existence d’une exclusivité ;
  • le secteur d’activité concerné ;
  • l’existence d’un état de dépendance économique ;
  • l’attitude de bonne foi et la loyauté de votre client ;
  • les investissements que vous avez engagés et dont vous ne pouvez obtenir le remboursement ;
  • la durée minimale des préavis déterminée en référence aux usages du commerce.

 

À noter :
Depuis l’ordonnance du 24 avril 2019, la responsabilité de l’auteur de la rupture ne peut être engagée pour durée insuffisante dès lors qu’il a respecté un préavis de 18 mois

 

Ceci étant, la loi prévoit deux hypothèses dans lesquelles la rupture sans préavis est justifiée

C’est le cas si vous commettez un manquement à vos engagements, en livrant par exemple un produit avec un défaut majeur. Assurez-vous d’avoir correctement exécuté toutes vos obligations contractuelles. 

Ou encore si un cas de force majeure justifie une rupture sans préavis, par exemple, le secteur d’activité de votre client est en baisse, bouleversant ainsi ses activités. 

 

L’importance de faire appel à un professionnel

 

Vous l’aurez compris, le domaine de la responsabilité pour rupture brutale des relations commerciales établies est particulièrement complexe. 

Cela s’explique notamment par le fait qu’il est le fruit d’évolutions jurisprudentielles et, parfois, législatives. Par ailleurs, le travail de qualification des juges repose sur des éléments souvent très factuels, ce qui leur impose un effort d’appréciation au cas par cas. 

Ainsi, si vous estimez avoir été victime d’une rupture brutale de relation commerciale établie, vous avez tout intérêt à faire appel à un avocat spécialisé en contentieux commercial. N’hésitez pas à recourir à ses services si vous percevez simplement des signaux avant-coureurs (ils sont souvent annonciateurs d’une rupture proche). 

En effet, l’avocat en contentieux commercial connaît bien la matière et ses évolutions et a l’habitude de traiter avec les juges dans ce type de contentieux. Il est donc le plus à même de vous aider à mettre en place la meilleure stratégie possible. 

 

Historique des modifications :
Mise à jour du 29 mars 2024 : vérification des informations juridiques.

 

Avocat au Barreau de Paris, spécialisé en droit des affaires et droit commercial, Me Matthieu Chauveau accompagne notamment les entreprises dans leurs aspects contentieux (rupture de relations commerciales, rupture de pourparlers, responsabilité des dirigeants, etc.).  Il a également développé une expertise dans les contentieux bancaires liés aux problématiques de TEG et de SWAP. Enfin, il assiste les entreprises dans leur création et les conseille dans les problématiques juridiques qu'elles peuvent rencontrer quotidiennement.

Relu par Clémence Bonnet. Diplômée de l'École des Avocats
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