Un dirigeant d'entreprise peut être un jour confronté à l'expérience douloureuse d'une procédure de divorce, comme tout un chacun. Cette situation peut avoir un impact conséquent sur la pérennité de l'entreprise, non seulement sur un plan juridique mais également psychologique.
« L'important dans le divorce, c'est ce qui le suit » disait Hervé Bazin, Madame Ex.
Divorce d'un dirigeant d'entreprise : Les consÉquences juridiques sur l'entreprise
Les conséquences juridiques d'un divorce sur l'entreprise dépendent fortement du régime matrimonial choisi par les époux.
En France, il existe 4 régimes différents : communauté réduite aux acquêts, séparation de biens, participation aux acquêts et communauté universelle (Ce régime étant très rare et utilisé rarement en dehors de l’Alsace) .
Quelles sont les conséquences de chacun de ces régimes en cas de divorce du dirigeant pour l'entreprise ?
Le régime de la communauté réduite aux acquêts
Sous le régime de la communauté réduite aux acquêts, qui est le régime matrimonial s'appliquant par défaut, trois cas de figure sont à distinguer :
- Premièrement, si l'entreprise a été créée ou acquise pendant le mariage avec les deniers communs, le conjoint non exploitant a droit à 50% de la valeur du fonds ou des titres, actions ou parts sociales.
- Si l'entreprise a été créée pendant le mariage mais avec les deniers personnels de l'exploitant, et inscrite dans une « clause de remploi », le conjoint non exploitant n'a aucun droit sur l'entreprise. La clause de remploi doit être établie chez un notaire pour confirmer l'origine du bien et sécuriser l'acquisition. Notons que cette déclaration d'emploi peut être réalisée par l'exploitant sans être subordonnée au consentement du conjoint non exploitant au moment de l'acquisition. Si celle-ci est faite ultérieurement, il faudra alors le consentement de l'époux non exploitant.
- Enfin, si l'entreprise a été créée avant le mariage, le conjoint non exploitant n'a aucun droit sur l'entreprise. Dans ce régime, il convient toutefois de bien prendre en compte l'importance de l'éventuelle prestation compensatoire que devrait verser le conjoint exploitant, et qui pourrait, elle, mettre en péril l'entreprise.
Le régime de la séparation de biens
En cas de mariage sous le régime de la séparation de biens, tous les biens du couple appartiennent à l'un ou à l'autre. Ce régime doit être encadré par un contrat de mariage signé chez le notaire au moment du mariage et inclut une totale indépendance patrimoniale pour chacun des époux. Ainsi, le divorce ne causera pas de difficultés concernant la propriété de l'entreprise, à condition que les conjoints ne soient pas engagés solidairement et n'aient pas de biens acquis en indivision.
Le régime de la participation aux acquêts
Si le couple a opté lors du mariage pour le régime de la participation aux acquêts, la situation est différente. Il s'agit en effet d'un régime hybride entre les deux précédents. Ainsi, pendant le mariage, il s'agit d'un régime séparatiste qui devient communautaire lors du divorce.
Le notaire procédera alors à une évaluation du patrimoine de chacun des deux époux, et le conjoint s'étant le plus enrichi devra verser une créance de participation à l'autre. Il est toutefois possible d'exclure l'entreprise de la créance de participation en incluant une clause spécifique au contrat de mariage.
Le régime de la communauté universelle
Sous le régime de la communauté universelle, il n'y a aucun bien propre, qu'il soit acquis avant ou pendant le mariage. En cas de divorce, le couple suivra la même procédure qu'en cas de régime de la participation aux acquêts. Il est également possible d'exclure les biens professionnels via une clause inscrite au contrat de mariage, qui permettra au dirigeant exploitant de conserver une totale autonomie pendant le mariage, mais également d'exclure l'entreprise de la créance de participation.
Divorce du dirigeant d'une entreprise : impact de la prestation compensatoire
La prestation compensatoire que devra éventuellement verser le conjoint exploitant peut affecter à la fois son train de vie et la pérennité de son entreprise. Cette prestation, décidée par jugement, a pour but d'éviter la disparité de conditions financières entre les ex-conjoints. Ainsi, même si des dispositions ont été prises pour protéger l'entreprise, le conjoint exploitant peut être conduit à dégager de la trésorerie de son entreprise, ou à vendre des actifs, ou des parts de sa société pour pouvoir régler cette prestation compensatoire.
Effets du divorce selon la structure juridique de l'entreprise
Il convient également de noter que des différences existent dans les conséquences d'un divorce pour les conjoints en fonction de la structure juridique de l'entreprise.
- En principe, pour les sociétés de capitaux comme les SARL, les SA, les EURL, etc., le patrimoine personnel du conjoint exploitant et donc du couple en fonction du régime matrimonial, est protégé : sa responsabilité étant limitée aux apports effectués à l'entreprise.
- Par contre, dans le cadre d'une entreprise individuelle, le conjoint exploitant est responsable personnellement des dettes de son entreprise. En effet, il n'y a pas de personnalité morale pour l'entreprise individuelle et donc pas de distinction entre le patrimoine personnel et professionnel. Le conjoint non exploitant pourra se retrouver redevable des dettes de l'entreprise contractées avant le divorce, et avant que celui-ci soit prononcé, si son conjoint et l'entreprise sont insolvables. Le statut d'entrepreneur individuel à responsabilité limitée (EIRL) est venu pallier à ses difficultés, avec sa formule mixte à mi-chemin entre l'EURL ou la SARL unipersonnelle et l'EI. Le conjoint exploitant peut établir une déclaration d'insaisissabilité pour protéger ses biens personnels et donc ceux du couple, et en empêcher la saisie par les créanciers. Ainsi, en cas de difficultés financières, les créanciers ne pourront agir que sur les biens non affectés. Attention quand même aux cas où la responsabilité personnelle du dirigeant sera de toutes façons engagée.
Au-delà de ces aspects purement juridiques, la nature des relations entre les époux souhaitant divorcer va jouer un rôle prédominant et l'ingérence du conjoint non exploitant peut avoir un impact décisif sur la pérennité de l'entreprise.
Impact du divorce sur la pérennité de l'entreprise
Attention aux cas de divorces par voie contentieuse
S'il est bien entendu préférable d'avoir recours à un divorce par consentement mutuel, pour effectuer un partage adapté entre les époux, un divorce par voie contentieuse ne peut pas toujours être évité. Dès lors, les choses seront bien plus complexes.
En effet, lorsque les parts de la société appartiennent au patrimoine commun, le conjoint non exploitant peut revendiquer sa qualité d'associé pour 50% des parts financées par le couple. Ainsi, jusqu'au jugement définitif, le conjoint non exploitant sera pleinement partie prenante dans les décisions de l'entreprise. Pour parer à cette éventualité, il faudra avoir prévu au contrat de mariage une clause d'agrément, afin d'empêcher l'entrée du conjoint en lui faisant signer lors de la création de l'entreprise ou après, une lettre de renonciation à la qualité d'associé. C'est également à ce stade qu'intervient la déclaration d'emploi ou de remploi établie dans le cadre de la communauté réduite aux acquêts.
Les relations avec les tiers impactées par le divorce
Le divorce peut également avoir un impact plus ou marqué sur les relations avec les tiers présents aux côtés de l'entreprise. D'un point de vue bancaire par exemple, le divorce d'un chef d'entreprise peut bloquer des démarches pour obtenir un prêt pendant un temps, en attendant que le divorce soit prononcé. En effet, les partenaires bancaires auront besoin de connaître la nature du jugement et de l'éventuelle prestation compensatoire à verser qui peut avoir des conséquences sur la pérennité de l'entreprise.
Nous l'avons vu, le divorce peut également remettre en cause la valeur du patrimoine personnel du dirigeant, et donc par conséquent la valeur de son cautionnement personnel très souvent demandé dans le cadre d'un emprunt professionnel. Cela vaut pour les emprunts en cours de demande, mais également pour les emprunts ayant déjà fait l'objet d'un accord, et réalisés avec un cautionnement de personne physique : en fonction du régime matrimonial, le conjoint non exploitant doit avoir donné son accord pour agir sur le patrimoine commun, il doit donc être désengagé.
Nous avons vu que le divorce d'un dirigeant d'entreprise pouvait avoir un impact direct sur la pérennité de l'entreprise. S'il peut paraître de mauvais augure de prévoir un divorce au moment du mariage, un certain nombre de dispositions peuvent être prises pour protéger l'entreprise, ses salariés le cas échéant, et toutes les tiers parties prenantes (clients, fournisseurs, etc.), et limiter ainsi l'impact dans l'espace professionnel d'une situation souvent difficile sur le plan personnel pour le dirigeant.
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