L'employeur a-t-il le doit de lire les messages, professionnels et personnels, de ses employés ? Cet article vous aide à y voir plus clair et à mieux comprendre quels sont vos droits et vos limites en tant que dirigeant d’entreprise.
Retour sur l’affaire Nikon
La question de la confidentialité des emails professionnels et personnels des salariés au regard de l’employeur a été largement médiatisée suite à l’affaire Nikon. Elle opposait un salarié à son employeur, Gan Assurances, lequel lui reprochait d’avoir « détenu, dans sa messagerie professionnelle, des messages à caractère érotique ». Il lui était également reproché d’avoir entretenu une « correspondance intime avec une salariée de l’entreprise ». Tous ces messages ne comportaient pas de mention confidentielle ou personnelle, quelle qu’elle soit, dans leur objet.
Conséquence : l’employeur a motivé le licenciement de son salarié par un échange fréquent de messages « de nature privée », arguant que ce type d’agissement n’était pas autorisé par l’entreprise, et par le fait que l’employé conservait des photographies à caractère érotique dans sa messagerie, « en laissant, en toute connaissance de cause, la possibilité pour une tierce personne d’en prendre connaissance ».
La Cour d’appel a, par la suite, jugé ce licenciement sans cause réelle et sérieuse, et a condamné l’employeur au versement, d’une indemnité de 90 000 euros en plus du remboursement des indemnités d'organismes sociaux. Selon cette instance, les courriers devaient être considérés comme personnels, même si la mention dans l’objet faisait défaut.
L’employeur ayant fait appel, la Cour de cassation a précisé les deux points suivants :
- Le droit, pour le salarié, au respect de l’intimité de sa vie privée ;
- La possibilité, pour l’employeur, de consulter les fichiers qui n’ont pas été identifiés comme personnels par le salarié, sans pour autant pouvoir les utiliser pour le sanctionner s’ils s’avèrent être privés.
Le contrôle des emails du salarié
Une entreprise peut tout à fait mettre en place des outils de contrôle de la messagerie de ses salariés, par mesure de sécurité, de prévention ou de contrôle de l’encombrement du réseau. Les employés doivent toutefois être informés de l’objectif de ces outils, et de la durée durant laquelle les données de connexion seront conservées, voire sauvegardées. Aussi, la Commission nationale de l’informatique et des libertés (CNIL) fait ressortir qu’en cas d’archivage automatique des messages électroniques, les salariés doivent être informés des modalités et de la durée de conservation des messages, ainsi que des conditions dans lesquelles ils peuvent exercer leur droit d’accès.
Le contrôle de la messagerie personnelle du salarié
Techniquement, l’employeur peut accéder à la messagerie personnelle du salarié si ce dernier s’y est connecté. C’est également le cas si, comme évoqué plus haut, un outil de contrôle de la navigation a été installé sur le réseau informatique de l’entreprise.
Néanmoins, à partir du moment où la messagerie est personnelle, et à partir du moment où tout fichier stocké sur l’outil professionnel est marqué comme étant personnel, la Cour de cassation rejette tout caractère litigieux. Les divers arrêts ayant été pris par cette instance dans le cadre d’affaires de ce type sont clairs : « le salarié a droit, même au temps et au lieu de travail, au respect de l’intimité de sa vie privée ; que celle-ci implique en particulier le secret des correspondances ; que l’employeur ne peut dès lors sans violation de cette liberté fondamentale prendre connaissance des messages personnels émis par le salarié et reçus par lui grâce à un outil informatique mis à sa disposition pour son travail et ceci même au cas où l’employeur aurait interdit une utilisation non professionnelle de l’ordinateur ».
En conclusion, le contenu des messages privés, émis et stockés sur la messagerie personnelle de l’employé, ne peut être contrôlé ni utilisé à l’encontre de ce dernier.
La messagerie professionnelle du salarié
Quant à la messagerie professionnelle, elle peut pour sa part être surveillée par l’entreprise, notamment d’un point de vue technique.
Si cette boîte email peut être utilisée à des fins personnelles, l’usage demeure particulièrement encadré. En outre, afin d’éviter toute confusion, la mention « personnel », ou encore « privé » doit être inscrite dans l’objet des mails envoyés et reçus sur la messagerie. Il en va de même pour les fichiers joints, dès lors que ceux-ci concernent l’employé mais relèvent du privé. Dès lors que cette mention est faite, l’employeur n’a pas le droit d’accéder au contenu des emails et fichiers joints.
Toutefois, l’utilisation de la messagerie professionnelle à des fins personnelles est limitée. Il est notamment recommandé d’éviter tout contenu diffamatoire, allant à l’encontre de la loi ou pouvant porter atteinte à l’image de l’entreprise. Aussi, il est recommandé d’éviter au maximum ce type d’usage, notamment s’il existe une charte informatique l’interdit ou le restreint.
Enfin, il est important de souligner que l’employeur ne peut accéder aux emails personnels présents sur la messagerie professionnelle du salarié, en son absence, que s’il s’agit d’un cas de force majeure (soupçons d’espionnage, fuite d’information ou tout autre risque ou événement particulier). De même, ce fameux secret des correspondances, ainsi qu’il est nommé, peut être levé dans le cadre d’une instruction pénale ou à la suite d’une décision de justice.
Les risques encourus par l’employeur
En cas de litige survenu à la suite de la lecture des emails personnels, sur la messagerie privée ou professionnelle de l’employé par l’employeur, ce dernier est passible de poursuites. L’article 9 du Code civil prévoit en effet la protection de la vie privée, tandis que l’article 226-15 du Code pénal fait mention du principe du secret des correspondances.
C’est pour ces motifs que la CNIL conseille aux employeurs d’informer les salariés du principe retenu afin de distinguer les emails personnels des emails professionnels. Pour cela, l’employeur peut établir une charte informatique ou un règlement intérieur. Un professionnel au fait des lois autour de l’informatique, de la vie privée et du droit du travail pourra vous accompagner dans le cadre de la rédaction de ce document.