Depuis le 12 juillet 2020, le règlement Européen dit « Platform to business » (également appelé règlement P2B), destiné à promouvoir l'équité et la transparence pour les entreprises utilisatrices de services d'intermédiation en ligne, est entré en application.
Ce règlement établit notamment des règles ayant pour objet l’interdiction de pratiques jugées déloyales. Il prévoit notamment d’assurer la promotion de l’équité et d’imposer aux places de marchés en ligne, et autres plateformes d’intermédiation, des obligations de transparence envers leurs utilisateurs professionnels. En outre, ce règlement propose la mise en place de nouvelles possibilités de règlement des litiges et des plaintes.
Mais alors, quels sont précisément les apports de ce règlement ? Et qui sont les acteurs concernés ? Quelles sont les modifications à apporter dans le cadre de vos conditions générales à destination des professionnels ?
Maître Benjamin Znaty, avocat spécialisé en droit des nouvelles technologies, décrypte le sujet pour vous.
SOMMAIRE :
I/ Rappel sur les pratiques contractuelles des marketplaces
La marketplace, ou place de marché en ligne, est un service d’intermédiation commerciale en ligne qui va permettre de mettre en relation un vendeur et un acheteur.
Il s’agit donc d’une relation tripartite entre :
- la marketplace et le vendeur ;
- la marketplace et l’acheteur ;
- le vendeur et l’acheteur.
Au fil du temps, les marketplaces sont devenues indispensables pour des millions d’entreprises prospères qui utilisent quotidiennement ces plateformes pour vendre leurs produits et services. Les marketplaces ont donc pris une part considérable dans le marché du e-commerce mondial.
Les marketplaces sont toutefois débitrices d’obligations contractuelles aussi bien envers les particuliers que les professionnels utilisant leur service. La rédaction de conditions générales est donc ici une étape cruciale (pour plus d’informations sur le schéma contractuel pouvant être adopté par une marketplace, vous pouvez lire mon article « plateformes et marketplace : tout savoir sur les enjeux juridiques »).
Certaines marketplaces, de par leur position de force, ont toutefois eu tendance à imposer aux entreprises utilisant leurs services des contrats très déséquilibrés.
En France par exemple, la plateforme Amazon a été sanctionnée par le Tribunal de Commerce de Paris au paiement d’une amende de 4 millions d’euros, en raison d’un déséquilibre important dans plusieurs clauses du contrat conclu avec des vendeurs tiers sur sa plateforme. C’est notamment pour encadrer et mettre fin à de telles pratiques que le règlement P2B a été adopté par la Commission Européenne.
II/ L’application du règlement P2B aux marketplaces
Un encadrement européen a donc été mis en place via le règlement P2B. Ce règlement « P2B » a vocation à s’appliquer aux plateformes d’intermédiation en ligne (marketplaces et autres plateformes numériques) ainsi qu’aux moteurs de recherche dans le cadre de leurs relations avec les entreprises utilisatrices de leurs services.
Pour le règlement P2B, un service d’intermédiation rentrant dans le cadre de l’encadrement doit :
- être un service de l’information, donc accessible via Internet,
- permettre aux entreprises utilisatrices d’offrir des biens ou services aux consommateurs, et ce, indépendamment du fait que les transactions soient finalement conclues,
- être fournie sur la base de relations contractuelles entre la plateforme et ses utilisateurs à la fois professionnels et consommateurs.
On notera donc que les marketplaces mettant uniquement en relation des professionnels entre eux (marketplaces B2B) ne sont pas concernées par le règlement P2B.
Le règlement s’applique par ailleurs à condition que les entreprises utilisant les services d’intermédiation de la marketplace :
- soient établies au sein de l’Union européenne, et
- proposent via cette marketplace des produits ou des services à des consommateurs également situés dans l’Union européenne.
Prenons l’exemple d’une marketplace établie au États-Unis qui proposent ses services à des utilisateurs professionnels basés en France, proposant eux-mêmes des biens ou services aux consommateurs situés en France via cette plateforme. L’entreprise bénéficiaire du service de la marketplace et ses consommateurs étant situés dans l’Union européenne, la marketplace Américaine devra respecter le règlement P2B.
En revanche, si un vendeur basé en Italie, propose via une marketplace Française, ses services à des consommateurs situés en Australie, alors la marketplace Française ne rentrera pas dans le champ d’application du règlement P2B au titre de cette relation.
Mais alors, quelles sont donc les règles issues de ce règlement P2B et leurs impacts sur la rédaction des conditions générales ?
III/ Les apports du règlement P2B : les nouvelles obligations des marketplaces vis à vis des utilisateurs professionnels
Certaines marketplaces ont souvent été pointées du doigt dans leurs rapports avec les utilisateurs professionnels. Il apparaissait donc indispensable de rééquilibrer le rapport de force entre ces plateformes et les vendeurs professionnels par l’instauration de plusieurs grands principes.
Restriction, suspension ou résiliation de service
L’objectif de ce règlement est donc notamment de lutter contre les pratiques déloyales. L’une des pratiques souvent mise en œuvre par ces plateformes porte sur la restriction, la suspension et même parfois la résiliation des services offerts aux vendeurs professionnels. En effet, il pouvait arriver que les vendeurs voient du jour au lendemain leurs comptes fermés par la plateforme sans préavis ou motifs légitimes.
Désormais, si une plateforme désire suspendre ou fermer un compte vendeur/professionnel elle devra respecter plusieurs conditions :
- motiver sa décision ;
- offrir une possibilité de recours au vendeur qui pourra contester en déposant une réclamation auprès de la plateforme ; et
- se fonder sur des motifs qui auront été préalablement détaillés dans les conditions générales.
En effet, il est désormais obligatoire pour les marketplaces d’indiquer dans leurs conditions générales d’utilisation « les motifs des décisions de suspension, de résiliation ou d’imposition de toute autre restriction ».
Par ailleurs, si une plateforme désire résilier sa relation avec un professionnel, elle devra avertir cet utilisateur de sa volonté de mettre fin à leur relation au moins 30 jours avant que la résiliation ne prenne effet.
L’objectif est de lutter contre les plateformes qui, du jour au lendemain, décidaient de mettre un terme à leur relation avec leurs vendeurs. Désormais, le vendeur dispose d’un délai avant que la résiliation soit effective, pour, notamment organiser son activité.
Attention, ce délai n’est toutefois qu’un minimum qui peut être par ailleurs complété par d’autres dispositions légales. En France par exemple, la loi peut exiger de donner un délai de préavis plus long dans certaines situations, notamment en raison de l’ancienneté de la relation et/ou de la dépendance du vendeur vis à vis de la plateforme. A contrario, le règlement prévoit que ce délai puisse être raccourci ou inexistant dans certaines situations, notamment si la résiliation est rendue obligatoire en raison de la loi ou si la marketplace peut prouver que le professionnel concerné a enfreint à plusieurs reprises les règles de la plateforme.
A noter que toute suspension ou fermeture réalisée sans laisser au vendeur une possibilité de contestation devra donner lieu au rétablissement du compte.
Accessibilité et modification des conditions générales
La rédaction et la clarté des conditions générales en tant que telles sont des exigences du règlement P2B qui oblige les marketplaces et les services d’intermédiation à ce que leurs conditions générales “soient rédigées de manière claire et compréhensible”. Il faut donc faire preuve d’une grande vigilance et d’une grande précision lors de la rédaction de ces clauses et l’assistance d’un avocat est donc fortement recommandée. Le règlement P2B oblige également les opérateurs de plateformes à rendre facilement accessibles leurs conditions générales.
Le règlement entend par ailleurs obliger les marketplaces et autres plateformes à faire figurer dans leurs conditions générales certaines clauses et informations obligatoires comme par exemple :
- les raisons et motifs pouvant limiter les vendeurs professionnels à proposer via d’autres canaux les biens et services proposés sur la plateforme,
- les informations sur les conditions auxquelles les entreprises utilisatrices peuvent mettre fin à leur relation contractuelle avec la plateforme,
- les informations sur les conditions dans lesquelles la plateforme peut conserver les informations transmises ou produites par les entreprises utilisatrices après l’expiration du contrat, ainsi que les modalités d’accès technique et contractuel à ces informations.
En outre, la modification de ces conditions générales ne peut plus se faire sans délai de prévenance. Si une marketplace envisage de modifier ses conditions générales à destination des professionnels, elle devra préalablement notifier aux entreprises concernées, via un « support durable », les changements qu’elle envisage de mettre en œuvre.
Pour cela, la plateforme devra respecter un délai de préavis minimum puisqu’elle devra notifier aux entreprises utilisatrices sa volonté de procéder à des modifications au moins 15 jours à l’avance. La aussi, il pourra toutefois être approprié de donner un délai de préavis plus long, notamment lorsque le professionnel doit accomplir des adaptations techniques ou commerciales pour pouvoir se conformer aux changements proposés par la plateforme.
A contrario, la plateforme n’est pas tenue de donner de préavis dans certaines situations, notamment si les modifications sont nécessaires pour faire face à un danger imprévu et imminent, afin par exemple de protéger ses utilisateurs contre la fraude.
Le renforcement des obligations de transparence
Le règlement met également à la charge des marketplaces des obligations nouvelles de transparence.
Concernant le classement des biens et des services, les plateformes devront désormais indiquer, au sein de leurs conditions générales, les principaux paramètres déterminant le classement et les raisons justifiant l’importance relative d’un paramètre par rapport à un autre.
De plus, le règlement précise que lorsque la plateforme offre la possibilité aux utilisateurs d’influer sur le classement moyennant une rémunération, la description de cette possibilité et de son effet sur le classement devra être indiquée dans les conditions générales à destination des professionnels ainsi que dans les CGU du site concerné.
Rappelons ici que la loi française avait anticipé sur l’Europe en obligeant depuis 2017 les plateformes de mise en relation à créer une rubrique spécifique ayant pour objet d’informer de manière claire, loyale et transparente les utilisateurs des modalités de référencement, déréférencement et de classement des annonces, ainsi que de l’existence d’une relation contractuelle ou d’une rémunération influant sur le classement des annonces.
Les marketplaces françaises qui ont mis en place cette rubrique spécifique devront donc désormais recopier ces éléments de transparence sur leur classement au sein de leurs conditions générales à destination des professionnels, et ce, afin d’être conformes à la fois à loi Française et au règlement P2B. On peut ici regretter que les deux textes imposent des obligations similaires en imposant toutefois de délivrer ces informations dans des rubriques différentes au sein du service.
L’accès aux données
Le règlement P2B impose également de nouvelles règles aux marketplaces en ce qui concerne les données de leurs utilisateurs, dans la lignée du RGPD.
Ainsi, les plateformes doivent désormais mentionner dans leurs conditions générales certaines informations relatives à l’accès aux données à caractère personnel et aux autres données transmises par les entreprises utilisatrices et les consommateurs, ou produites dans le cadre de la fourniture desdits services.
Ces informations viennent compléter les obligations du RGPD en imposant donc aux marketplaces de décrire brièvement dans leurs conditions générales à destination des professionnels, la manière dont elles ont et donnent accès aux données personnelles qui transitent sur leurs services d’intermédiation. Les entreprises utilisatrices doivent pouvoir à cet égard être notamment informées des possibilités dont elles disposent de ne pas participer à cet éventuel partage de données.
Le règlement des litiges
Enfin, le règlement fait peser une nouvelle obligation sur les épaules des plateformes et marketplaces puisque ces dernières doivent désormais donner aux entreprises utilisatrices de nouveaux moyens de recours. Désormais, les plateformes ont l’obligation de :
- mettre en place un système interne de traitement et de suivi des réclamations ;
- privilégier la médiation et préciser, dans leurs conditions générales d’utilisation, les médiateurs avec lesquels elles sont prêtes à prendre contact en vue de parvenir à un accord avec les entreprises utilisatrices en cas de litige.
En outre, le règlement reconnaît aux entreprises utilisatrices la possibilité d’être représentées par des organismes et associations représentatives, répondant toutefois à certaines exigences posées par le texte, aux fins d’exercer une « action de groupe ». Le règlement entend ici encadrer une pratique qui existe déjà dans les faits, avec un nombre important ces dernières années d’actions collectives engagées par des syndicats et associations représentatives de secteurs spécifiques, à l’encontre de grandes plateformes du numérique, ayant “uberisé” le secteur concerné.
Ainsi, que faut-il retenir de ce règlement P2B ? Plusieurs choses et notamment l’obligation de retrouver dans les conditions générales des marketplaces :
- les motifs de suspension et de fermeture des comptes de vendeur ;
- les conditions de transparence et modification des conditions générales ;
- les principaux paramètres de classement des biens et des services ;
- les traitements différenciés sur le classement proposés par les vendeurs ;
- l’accès aux données à caractère personnel et leur utilisation et partage ;
- les informations relatives au traitement des litiges et à l'accès à la médiation.
Avocat spécialisé en droit des nouvelles technologies, je suis à même de vous éclairer sur les impacts de ce règlement ainsi que sur vos différentes obligations en découlant. Créer une marketplace ne s’improvise pas. Faites vous accompagner dans la rédaction de la documentation nécessaire (conditions générales, politiques de confidentialité, rubriques de transparence…).