Vous êtes dirigeant d’entreprise et vous faites face à un contentieux ? Vous vous interrogez sur la notion de perte de chance et sur les modalités de son indemnisation ?
Lorsqu’une personne perd la chance d’obtenir un avantage, un gain ou encore un droit, elle va pouvoir chercher à obtenir réparation du préjudice qu’elle subit. Tel est le cas par exemple d’une personne qui n’a pas pu réaliser une plus-value sur une vente immobilière suite aux mauvais conseils prodigués par un professionnel pourtant tenu au devoir de conseil.
Mais alors qu’est-ce que la perte de chance ? Quelles sont ses caractéristiques ? Comment évaluer la perte de chance ? Que faire pour éviter ce genre de contentieux ? Et pourquoi est-il indispensable de se faire accompagner par un avocat spécialisé ?
Me Matthieu Chauveau, avocat spécialisé dans le domaine du contentieux, décrypte pour vous le sujet de la perte de chance.
La perte de chance : définition
Dans quelles situations concrètes entre dirigeants peut se poser la question de la perte de chance ?
Tout d’abord, sachez qu’il n’existe pas de définition « fixe » de la perte de chance. Cette notion a en effet connu plusieurs évolutions puisqu’il s’agit d’une construction jurisprudentielle c’est-à-dire une notion née à la suite de décisions par les tribunaux. La perte de chance s’analyse comme « la disparition actuelle et certaine d’une éventualité réparable » (Cass. 2e civ., 7 nov. 2013, no 12-27.946 ; Cass. soc., 1er déc. 2009, no 08-40.512 ; Cass. 1re civ., 14 mai 2009, no 08-15.335 ; Cass. 1re civ., 4 juin 2007, no 05-20.213, Bull. civ. I, no 217).
Mais qu’est-ce que cela veut dire ? Il est parfois difficile de saisir l’étendue de cette notion.
Par exemple, vous n’avez pas remporté un marché à cause d’un de vos transporteurs. Mais rien ne garantit que vous auriez remporté ce marché si tout s’était bien passé. C’est là toute la difficulté dans l’analyse de la perte de chance puisqu’il est nécessaire de déterminer dans quelle mesure un événement qui ne s’est jamais réalisé au vue des circonstances, aurait pu se produire en temps normal.
La perte de chance existe donc dans des situations multiples. Il a par exemple été considéré comme pouvant être réparé, le dommage résultant de la perte de chance :
- de pouvoir gagner un procès du fait de la faute d’un huissier de justice ;
- de faire un profit intéressant à la suite de la revente d’un immeuble ;
- de pouvoir louer des appartements à la date originellement prévue à cause du retard pris dans la construction de l’immeuble ;
- de conclure un contrat avantageux ;
- de recevoir le paiement d’une créance ;
- de percevoir des gains professionnels à cause car vous ne pouvez plus travailler à la suite d’un accident ;
- de pouvoir céder des parts sociales de votre société à un prix plus attractif ;
- d’un avocat qui omet de faire un recours contre une décision qui aurait pu permettre à son client d’être indemnisé ;
- d’une société qui manque à son devoir de conseil et qui, par ce manquement, a fait perdre à son client la possibilité de mieux investir son argent ;
- de ne pas obtenir un emploi à cause de la délivrance tardive d’un diplôme.
Les éléments caractéristiques de la perte de chance
Mais comment caractériser une perte de chance ? Il faut encore une fois s’intéresser à la jurisprudence car c’est elle qui est venue poser les conditions devant être remplies afin de pouvoir caractériser la perte de chance.
La première condition est liée à l’existence même de la chance, à son caractère certain. En effet, la chance doit avoir existé c’est-à-dire qu’elle ne doit pas simplement avoir été hypothétique. La victime doit avoir été en position d’en profiter avant de la « perdre » c’est-à-dire avant que le dommage la prive de la possibilité de bénéficier de cette probabilité favorable. Par exemple, si vous vous estimez victime de la perte de chance de pouvoir gagner un procès, sachez que les juges vont évaluer les chances que vous aviez de remporter cette action. Ainsi, dès lors que votre action n’avait a priori aucune chance d'aboutir, vous ne pouvez espérer une réparation.
La seconde condition est liée à la disparition de la perte de chance c’est-à-dire au fait que la chance ait disparu de façon certaine et irréversible. Il ne peut s’agir d’une simple hypothèse et il faut que la personne victime de la perte ne puisse pas bénéficier une nouvelle fois de cette chance.
Dans l’hypothèse où vous avez procédé à la vente d’un bien immobilier et vous vous rendez compte que, du fait de la faute d’un tiers professionnel qui a par exemple produit un certificat de mesurage erroné, vous perdez de façon définitive la chance de pouvoir conclure ce contrat à des conditions financières plus intéressantes. En effet, le bien a été vendu de façon définitive à l’acheteur et vous ne pouvez revenir sur la vente.
Enfin, pour la dernière condition, il faut prouver que la perte d’une chance raisonnable. Cette condition résulte d’une évolution de la jurisprudence. La Cour de cassation a, dans un premier temps, considéré que la chance devait être réelle et sérieuse. Elle a ensuite retenu que “la perte certaine d’une chance même faible est indemnisable”, pour enfin retenir que le caractère raisonnable de la chance perdue. Cela signifie que la chance perdue devait avoir une probabilité raisonnable de se réaliser.
C’est l’hypothèse par exemple où vous vous apprêtez à signer un contrat de vente pour une durée de deux ans et seulement trois mois après le début du contrat, l’acheteur procède à la résiliation du contrat. Sachez que vous pouvez demander la réparation du préjudice de pouvoir réaliser une marge sur toute la durée du contrat et ceci même si cette perte de chance est faible car vous ne pouvez savoir comment la relation commerciale se serait passée durant ces deux années.
Comme il s’agit d’un évènement n’ayant jamais eu l’opportunité d’exister du fait de cette perte, le préjudice est présumé par les tribunaux à partir du moment où les conditions précitées sont remplies et qu’il est donc possible de constater objectivement la disparition de la chance que la victime espérait se voir réaliser. Toutefois, sachez qu’il ne s’agit que d’une présomption simple c’est-à-dire qu’il est possible pour le défendeur de rapporter la preuve inverse.
Comment évaluer la perte de chance ?
Une fois que le préjudice a été caractérisé, il va être possible pour la victime de réclamer réparation du dommage qu’elle a subi c’est-à-dire la perte de chance de bénéficier d’une opportunité favorable. Pour cela, si vous tentez demain une action fondée sur la perte de chance, vous allez devoir justifier d’un préjudice certain et direct résultant de la perte.
La première étape consiste à l’évaluation du préjudice. Pour cela, il va d’abord falloir déterminer la probabilité que la chance espérée par la victime avait de se réaliser.
Par exemple, un futur dirigeant qui avait entrepris toutes les démarches pour lancer son entreprise a une perte de chance d’espérer des gains plus importants que le dirigeant qui n’a actionné que quelques formalités. Attention, cela ne veut pas dire que vous pouvez attendre une réparation du préjudice dans son entièreté puisque l’aléa est un élément important qui est pris en compte par les tribunaux lorsqu’ils évaluent le préjudice. Par exemple, un créateur d’entreprise n’ayant pas pu ouvrir son commerce et qui évalue à 10.000 euros sa perte de chance de réaliser un chiffre d’affaires ne peut espérer recevoir cette somme exacte. En effet, il est toujours possible que ce chef d’entreprise n’ait pas assez de clients ou qu’il perde un contrat ce qui aurait réduit son préjudice.
Ainsi, la réparation ne peut être égale à l’avantage qu’aurait procuré cette chance si jamais elle s’était réalisée et la victime ne va donc être indemnisée que d’une partie de l’avantage espéré. Sachez que ce sont les juges qui vont évaluer le montant du préjudice en commençant par l’évaluer dans son entièreté avant de le réduire en tenant compte de l’aléa et de la probabilité qu’avait la perte de chance de se réaliser et donc n’accorder qu’une fraction de la totalité du préjudice. Pour cela ils vont tenir compte de plusieurs indices comme le temps qui s’est écoulé entre le dommage et l'événement favorable espéré et également les actions mises en œuvre par la victime afin de participer à cet événement.
Notez également que les juges n’acceptent pas l’indemnisation de la perte de chance de conclure un contrat en cas de rupture des pourparlers. Ainsi, si vous êtes en pourparlers pour signer un contrat et que l’autre partie met fin aux négociations, vous ne pouvez réclamer la perte de chance de percevoir les gains que vous auriez perçu si vous perdez finalement le contrat.
A contrario, un salarié qui perd la chance de pouvoir bénéficier d’avantages financiers à la suite d’un licenciement qui s’avère en réalité être injustifié, perd la chance de pouvoir profiter de ces avantages et subit donc un préjudice. Ici les gains espérés par le salarié même s’ils sont aléatoires, restent indemnisables.
Les difficultés qui émergent de la notion de perte de chance
Cette notion a fait l’objet de nombreuses évolutions et reste soumise à l’appréciation souveraine des juges du fond.
Dans la pratique par exemple, les tribunaux ont parfois utilisé la perte de chance pour indemniser des clients qui estimaient avoir perdu la chance de réaliser une meilleure opération à cause, selon eux, d’un manque d’information de la part de professionnels.
L’une des difficultés attachées à cette notion est l’interprétation extensive des juridictions surtout vis-à-vis des professionnels et qui permettrait finalement de prémunir la victime contre « tous » les aléas qui existent, aléas qui font pourtant entièrement partie de la vie des affaires. Par exemple, une entreprise a été victime d’une résiliation fautive du contrat qui la liait avec une autre entreprise envers laquelle elle était en situation de dépendance. Toutefois, les juges ont relevé que cette entreprise n’avait rien fait pour améliorer sa situation et que les dirigeants avaient, de façon délibérée, accepté ce risque. Il n’était donc pas possible d’en tenir compte dans la réparation du préjudice économique.
Comment éviter le préjudice de perte de chance ?
Afin d’anticiper et donc éviter ce type de contentieux, je vous conseille de rédiger avec précision vos contrats et également de ne pas manquer à vos différentes obligations comme l’obligation de conseil ou d’information envers vos clients. En effet, n’oubliez pas qu’en tant que professionnel vous êtes soumis à certaines obligations. Il n’est en effet pas rare que les tribunaux accordent réparation à la victime, estimant que si cette dernière avait reçu les conseils appropriés et attendus de la part d’un professionnel aguerri, elle aurait pu par exemple prendre une décision qui lui aurait été favorable financièrement.
L’importance d’être accompagné par un avocat sur ces sujets
Si vous vous interrogez sur la perte de chance et si vous pensez devoir faire face à un contentieux fondé sur cette notion, il est indispensable d’avoir recours à un avocat qui sera le professionnel le plus à même de vous conseiller sur les meilleures décisions à prendre afin d’éviter une assignation. Un avocat aura également la capacité de vous représenter devant les juridictions et de tout mettre en œuvre afin d’éviter que votre responsabilité ne soit engagée.
- Il n’existe pas de définition « fixe » de la perte de chance. Il est nécessaire de déterminer dans quelle mesure un événement qui ne s’est jamais réalisé au vue des circonstances, aurait pu se produire en temps normal. C'est là toute la difficulté pour caractériser la perte de chance.
- Il est nécessaire d’évaluer le niveau du préjudice. Pour cela, il faut déterminer la probabilité que la chance espérée par la victime avait de se réaliser.
- La perte de chance a fait l’objet de nombreuses évolutions et reste soumise à l’appréciation souveraine des juges du fond.
- Afin d’anticiper et donc éviter ce type de contentieux, je vous conseille de rédiger avec précision vos contrats et également de ne pas manquer à vos différentes obligations comme l’obligation de conseil ou d’information envers vos clients.