Bien souvent, la première réaction dans une situation où le salarié a volé ou détourné l’argent de l’entreprise, c’est de vouloir l’attaquer au pénal et engager sa responsabilité civile. Pourtant, une telle voie a peu de chance de réussite. En effet, afin de pouvoir emprunter une telle voie il faut être en mesure de pouvoir démontrer la volonté du salarié de nuire à son employeur, ce qui nous le verrons s’avère généralement particulièrement complexe.
La responsabilité civile : l’impasse de la faute lourde pour vol en entreprise
Pour engager la responsabilité civile d’un salarié, et ainsi obtenir des dommages et intérêts, il faut démontrer qu’il a commis une faute lourde, c’est-à-dire, qu’il a eu l’intention de nuire à l’employeur lorsqu'il a commis son forfait. L’intention de nuire implique la volonté du salarié de porter préjudice à son employeur et/ou à l’entreprise, dans la commission du fait fautif. Ainsi, sans cet élément psychologique que constitue l’intentionnalité, une faute du salarié ne pourra être qualifiée de faute lourde.
A priori, le vol en entreprise semble remplir ces conditions… mais non, nous disent les juges ! L’employeur doit prouver que le salarié a volé l’entreprise dans l’objectif de lui causer un dommage. Ainsi, la Cour de cassation a pu retenir que si le délit de vol comporte un élément intentionnel, il n’implique pas, par lui-même, l’intention de nuire à l’employeur (Cass, soc, 6 juillet 1999, n°97-42.815).
Démonstration qui la plupart du temps est impossible à effectuer, car bien trop subjective...
Cet élément intentionnel entraîne deux conséquences légitimement sévères pour le salarié :
- Le licenciement notifié pour faute lourde interviendra sans les indemnités de rupture ;
- La fin de l’immunité civile, la faute lourde permet à l’employeur de poursuivre le salarié lourdement fautif en dommages et intérêts devant le Conseil des prud’hommes.
Cette double et lourde responsabilité amène la Chambre sociale de la Cour de cassation à ne reconnaître des fautes lourdes que dans des cas exceptionnels.
Responsabilité pénale : l’incertitude de la qualification de l’infraction commise
La responsabilité pénale du salarié ne peut être engagée que si, et seulement si, il s’est rendu coupable d’une infraction. Or, le code pénal prévoit pour chaque infraction une définition précise. Ainsi, le vol en entreprise se définit comme la soustraction frauduleuse de la chose d’autrui. En dehors de cette définition, il n’y a pas de vol.
En d’autres termes, si la lettre de licenciement retient comme motif le vol du salarié, et que le juge pénal décide qu’il ne s’agit pas d’un vol, mais d’une escroquerie par exemple, ou toute autre infraction pénale, le licenciement ne pourra pas être justifié, puisqu’il n’y a pas eu de vol...
En synthèse, l’employeur se retrouve devant un véritable dilemme :
- Si le salarié est bien condamné devant le juge pénal, le conseil de prud’hommes pourra pour autant apprécier la gravité de la faute.
- Si le salarié n’est pas condamné devant le juge pénal, le conseil de prud’hommes ne pourra pas considérer que le salarié a commis une faute. Dès lors, si la lettre de licenciement invoque le vol, le licenciement sera nécessairement injustifié, avec de nombreuses indemnités à verser à la clef !
Comment réagir face à un vol en société ?
C’est sur le terrain de l’exécution du contrat de travail qu’il convient de se placer. La Cour de cassation considère en effet que le salarié peut être condamné à exécuter son obligation contractuelle, et ainsi à restituer des sommes qu’il a encaissées pour son propre compte alors qu’il devait les encaisser pour le compte de l’employeur (Cass, soc, 19 novembre 2002, n°00-56.108).
Étape n°1 : faire une enquête
À l’instant même où vous avez des doutes sur le comportement du salarié, diligentez une enquête pour déterminer l’étendue des dégâts.
Votre objectif : connaître les sommes exactes détournées ou volées, et avoir des éléments de preuve (rapport de la banque, rapprochements bancaires incohérents, comptabilité douteuse etc.).
Étape n°2 : convocation à entretien préalable + mise à pied à titre conservatoire
Vous disposez de 2 mois pour engager la procédure disciplinaire à compter de la connaissance des faits fautifs (le point de départ peut donc être l’annonce des résultats de l’enquête).
Il convient alors de convoquer votre salarié à un entretien préalable en vue d’une éventuelle sanction pouvant aller jusqu’au licenciement, et lui notifier par là même sa mise à pied à titre conservatoire.
En pratique, il n’est pas obligatoire mais fort souhaitable de mettre à pied le salarié gravement fautif de façon conservatoire pendant la durée de la procédure. En principe cette mise à pied est à durée indéterminée puisqu’il s’agit d’écarter le collaborateur de l’entreprise en attendant l’accomplissement de l’entretien.
Étape n°3 : tenue de l’entretien
Au cours de l’entretien, vous exposez au salarié les faits tels qu’ils se sont présentés. Vous lui indiquez qu’il retient des sommes ou des objets qui appartiennent à la société, et qu’il ne les a pas restitué.
Vous pouvez tenter de lui faire signer une reconnaissance de dette en prévoyant notamment un échelonnement (selon la somme en considération).
Étape n°4 : licenciement pour faute grave : contenu de la lettre de licenciement
La faute grave résulte d’un fait ou d’un ensemble de faits imputables au salarié qui rend impossible le maintien du salarié dans l’entreprise. Une faute telle que l’on ne peut raisonnablement exiger de l’employeur qu’il conserve le salarié durant une période de préavis. La conséquence naturelle pour le salarié est la perte de son indemnité de préavis. Il s’agit d’une sanction. Le salarié perd également son indemnité de rupture puisque ces deux indemnités vont généralement de pair.
L’appréciation de la faute se fait au cas par cas. En revanche, le client reste roi. Ainsi, un vol commis au préjudice d’un client vaut qualification immédiate en faute grave. De la même façon, l’existence d’une faute grave est indépendante du préjudice éventuel. Il est en effet des comportements inacceptables bien que ne générant aucun préjudice immédiat.
La lettre de licenciement doit être simple. Il convient de :
- Rappeler qu’au titre de sa fonction, le salarié avait pour mission d’encaisser des sommes ou de stocker les biens de l’entreprise, au nom et pour le compte de l’entreprise ;
- Ensuite, vous indiquez qu’il n’a pas encaissé les sommes en question afin de les encaisser pour son propre compte, ou qu’il n’a pas stocké les produits, afin de se les accaparer ;
- Puis, vous précisez le montant de la somme en cause ou le nombre et les types de produits concernés ;
- Et enfin, vous concluez qu’il s’agit d’une exécution particulièrement déloyale du contrat de travail, que vous qualifiez de faute grave.
Cette manière de procéder vous assurera certainement plus de réussite en cas de litige prud’homal que celle de rechercher la responsabilité pénale et civile du salarié. Bien évidemment, chaque situation mérite une analyse approfondie.